Lorsque j'ai découvert la céramique pour la première fois, ce fut une révélation. J'avais trouvé exactement ce que j'étais censée faire. J'avais trouvé mon but dans la vie, ma passion. Je ne m'y attendais pas du tout car depuis l'âge de 12 ans j'étais convaincue que je voulais être psychologue. J'ai découvert ma nouvelle passion à l'âge de 22 ans et, lorsque mes mains ont touché la terre pour la première fois, j'en suis instantanément tombée amoureuse et ne l'ai plus jamais lâchée.
Pendant mon enfance j’ai vécu un mode de vie nomade en raison de la profession de mon père. Déménageant tous les deux à cinq ans; de Paris en France (où je suis née), à Santiago du Chili, à Atlanta en Géorgie, à Mexico, à Jakarta en Indonésie et enfin à New York par moi- même, où je suis allée à l'université. J'étais tombée amoureuse du Méxique à l'adolescence et j'ai trouvé le moyen d'y retourner définitivement dès que j'ai obtenu mon diplôme universitaire.
Gustavo Pérez, le renommé céramiste mexicain, a été mon mentor pendant trois ans juste après l'université. J'ai eu la chance de le rencontrer par l'intermédiaire de ma meilleure amie car sa mère et lui sont bons amis. Son atelier est à Xalapa, Veracruz, où lui et ses assistants m'ont appris toutes les bases et techniques nécessaires de la céramique. J'y ai vécu et travaillé comme apprentie, ne travaillant que les pièces de Gustavo pendant la semaine et mes propres pièces le week-end. À ce moment-là, toute ma vie tournait autour de la céramique, tout comme aujourd’hui.
J'ai ouvert mon propre atelier en 2007 et, avec mon esprit d'aventure, j'ai beaucoup voyagé à l’intérieur du Méxique avant de m'installer au sommet des collines de Xochimilco à Mexico où, cette fois, j'ai fait construire mon atelier. J'aime vivre ici, c'est relativement proche de la ville mais extrêmement calme et paisible. Mes amis rient quand je leur dis que mon atelier a l'équivalent de trois étoiles Michelin. Les gens se déplacent de très loin pour uniquement venir visiter l'atelier car il n'y a littéralement absolument rien d'autre à voir à proximité... que des collines.
Toujours en 2007, j'ai été présenté à Sebastian, le sculpteur mexicain, auteur du Caballito de Reforma parmi de nombreuses autres sculptures. Il m'a présentée a beaucoup de gens à México et m'a invitée à participer et à collaborer à des projets incroyables tels que la création d'un tout nouvel atelier de céramique dans sa fondation, la Fondation Sebastian, ainsi qu'à participer à de nombreuses expositions au Méxique et à l'étranger. Pendant de nombreuses années, il a été un grand ami et occupe une place importante dans mon cœur.
Tout au long de ces années, j'ai exposé mes œuvres dans des galeries d'art en Espagne, aux États-Unis, au Brésil et dans tout le Mexique. Et puis la pandémie nous a tous frappés... Après une année 2020 difficile, j'ai pris la décision d'arrêter d'exposer complètement et d'entrer dans le monde de la restauration et de l'hôtellerie. Présenter mon art tout en portant un masque me semblait très peu attrayant, et voyager me paraissait encore moins séduisant. La transition s'est aussi faite facilement car j'avais réalisé plusieurs muraux composés d'assiettes et collaboré avec des marques telles que Hilton Hotels et Nespresso. J'ai remarqué que mes assiettes recevaient beaucoup d'attention et j'ai poursuivi la transition avec beaucoup de plaisir.
Combiner l'art et les assiettes est quelque chose que j'apprécie beaucoup. Mes pièces restent uniques dans le sens où aucune n'est identique à l'autre et j'apprécie l'apparente répétition car c'est de là que viennent mes nouveaux designs et mes nouvelles idées, comme un arbre avec de nombreuses branches. C'est ainsi que fonctionne la créativité pour moi : un chemin sans fin qui s'ouvre sur d'autres chemins. L'idée suivante vient toujours de la précédente et ainsi de suite.
La terre est un matériau noble, vivant et subtil, qui vous parle mais vous écoute aussi. Je me retrouve dans un dialogue constant avec la nature et les quatre éléments. Le dialogue commence avec la terre et l'eau lorsque je commence à créer, puis l'air lorsque je sèche mes pièces (également une partie essentielle de mon travail afin d'éviter les fissures), puis le feu, qui a le dernier mot dans tout mon travail. Tout est fait à la main ou au tour, je n'utilise jamais de moules. Mon grès est cuit à 1300 degrés Celsius et comme il est très sensible aux changements brusques de température, les cuissons durent plusieurs heures. Chacune de mes pièces passe par deux cuissons, la première dure 5 à 6 heures atteignant mille degrés et la deuxième dure entre 9 à 10 heures. Je chauffe au gaz, manuellement, car cela me permet de contrôler la pression du gaz et la montée en température et d'avoir un contrôle sur ce que je veux que le feu fasse à mes émaux.
Ici au Méxique, la céramique est encore un artisanat. Ce n'est pas comme en Europe où l'on peut acheter sa terre et ses émaux déjà faits. Ici, vous faites tout vous-même. Ce processus long et délicat me fascine. Pour moi, fabriquer mon propre mélange d’argile et fabriquer mes propres émaux fait partie de l'établissement d'un lien avec mon art. Du début à la fin, je suis là, prêtant attention à toutes les étapes critiques nécessaires pour obtenir un résultat final parfait. C'est tout ce que j'ai toujours fait et c'est la seule chose que je veux faire. Je suis toujours étonnée de la facilité avec laquelle je me lève chaque matin très tôt, prête à dévorer la journée, en créant.
Le grès est ma spécialité. Je l’adore parce qu'il est si résistant et ressemble littéralement à de la pierre. La terre que j'utilise est un mélange spécial que nous fabriquons ici à l’atelier. Nous mélangeons cinq terres différentes pour donner un résultat final unique, facilement reconnaissable et presque impossible à casser ou à ébrécher. Ce que j'aime aussi dans la céramique, c'est son aspect durable et écologique. Tout est recyclable du début jusqu’à la fin et mes mains sont les outils que j’utilise le plus, sans compter qu'aucun produit chimique n'est utilisé. C'est complètement écologique. En regardant mon atelier, les seuls plastiques que j'utilise sont des seaux... et ils durent tellement d’années!
Une grande partie de moi va dans chaque pièce que je fais. Avant de commencer à créer, il y a déjà eu énormément de travail de préparation. Cependant, même une passion vous use; j'ai déjà subi deux opérations chirurgicales majeures liées à mon travail. La première était une opération de la main et la seconde, une opération de la colonne vertébrale il y a moins d'un an, pour une hernie discale géante. Même ce que nous aimons le plus n'est pas nécessairement bon pour nous. Heureusement, l'atelier a grandi avec le temps et j'ai maintenant de plus en plus d'aide de personnes merveilleuses qui apprennent mes techniques de céramique avec amour et manipulent mes pièces avec le plus grand soin.
Travailler avec des chefs a été une expérience incroyable. Le chef Xavier Salomon est mon mentor depuis mon entrée dans le monde de la restauration (il a ri quand je lui ai dit ça). Je l'ai rencontré grâce au chef Marc Narongchai, que j'ai rencontré via Instagram. J'avais cherché sur Google les 10 meilleurs chefs du Méxique et son nom était sur la liste. Je lui ai écrit et il s'est avéré qu'il aimait beaucoup mon travail et l'a montré à Xavier. Grâce à lui, j'ai beaucoup grandi professionnellement à Los Cabos et j'ai également eu l'opportunité de concevoir et de créer pour le chef Mauro Colagreco pour Mirazur Beyond Borders à Montage Los Cabos. Lorsque vous vendez de l'art dans une galerie, vous ne le voyez que très rarement chez les gens. En ce sens, votre art disparaît tout simplement, alors que travailler avec des chefs est exactement le contraire. Vous voyez des photos de vos créations avec les créations du chef dessus et c'est une expérience tellement satisfaisante ! Dommage que la plupart des chefs n'aient pas encore l'habitude de donner du crédit à leurs céramistes maintenant que la vaisselle faite à la main est tellement à la mode. Cependant, j'ai remarqué que c'est une question de génération... les jeunes chefs ont grandi avec les réseaux sociaux et ont pris l'habitude de toujours mentionner leurs céramistes collaborateurs dans leurs publications. Après tout, quand on y pense, c'est un travail d'équipe à cent pour cent. L'un n'a pas « existé » sans l'autre et tant que la nourriture sera servie dans des assiettes, cela restera vrai.
Publié par Salty Magazine Vol. 13